samedi 27 octobre 2012

Mais de quoi elle se mêle celle-là !

Mercredi après-midi.
Pas d'école pour les enfants.
Un nouveau magasin FNAC a ouvert la veille.
Les badauds s'y engouffrent. Simple curiosité, ce n'est qu'une FNAC, ou histoire de donner un but à la balade du jour. Beaucoup de monde. Beaucoup de jeunes et d'enfants. Beaucoup de rayons. Beaucoup de jolies choses, attrayantes.

En badaud confirmé je n'ai pas manqué la visite à l'occasion d'un passage dans le coin. Tiens justement je n'ai plus de stylo.
Alors que je cherche LE stylo qu'il me faut dans cette étendue de rayonnages un gamin (6-7 ans), seul, promène des yeux écarquillées sur des étals trop tentants, juste à hauteur de ses yeux.
Léger coup d’œil à droite, à gauche... doucement il prend un crayon et le fait remonter dans sa manche pour le glisser aussi discrètement dans sa poche en quittant tranquillement le rayon, nez en l'air.
Pourtant nos regards se croisent.
Il poursuit son chemin.
Réflexion à la vitesse de l'éclair :  j'y vais ? j'y vais pas ? ce n'est qu'un crayon.... ça ne ruinera pas la FNAC... tu ne le connais pas ce gamin, occupe-toi de tes oignons...
et je le rejoins doucement, de l'autre côté du rayon.
Il ne s'est pas enfui.
On se regarde, en face.
Il sait que j'ai vu. Il marque une brève hésitation, mais ne bouge pas. Le crayon est dans sa poche, on ne le voit pas. 
Je glisse à voix basse : Tu l'achètes ce crayon ?... Si tu ne l'achètes pas... il faudrait le remettre. 
Et je le quitte.
Il a remis le crayon. Il s'est sauvé.
Je n'ai pas cherché à voir où il allait, qui il allait rejoindre.
Je suis repartie avec plein de questions : de quoi je me mêle ? qu'est-ce qui s'est passé dans sa tête de gosse pendant ces 2 minutes ? certainement il va rester seul avec ce secret, ça m'étonnerait qu'il raconte ça à ses parents. Déjà une habitude chez lui ? un accident ? Mais c'est vraiment trop tentant tous ces crayons de toutes les couleurs, là, juste à sa portée.
Tout ça rien que pour un crayon... et maintenant les rayons de Noël se mettent en place... on recommence l'histoire ?


lundi 22 octobre 2012

L'orgue pour passion

Orgue, église Notre-Dame - Fontenay-le-Comte
Passion de toute une vie, et quelle vie : 88 ans dont 54 à Fontenay !

L'orgue, la musique, mais n'oublions pas aussi la philosophie qu'il a enseignée à des générations de lycéens fontenaisiens.

De sa philosophie et de son côté bibliste j'ai en particulier le souvenir de sa thèse sur le livre de Job qu'on m'a demandé de taper à mon arrivée au postulat (parce qu'à ce moment-là on tapait encore à la machine).

L'orgue et la musique, une passion partagée. Combien d'organistes, de choristes, de musiciens a-t-il formés à Fontenay et dans le diocèse, en particulier par sa participation assidue tous les ans en juillet à la semaine de stage des jeunes organistes ? Moi-même j'ai été une de ses élèves... non persévérante il est vrai, au Noviciat encore. Je me souviens aussi des répétitions de chorale : la messe et les vêpres du dimanche, avec antiennes propres en grégorien. Ces gros livres et ces partitions si particulières avec lesquelles il a fallu se familiariser. La discipline et les exigences musicales qu'il nous a transmises, la note juste, les temps et les mesures à respecter, la voix à placer (chantez avec votre tête, pas avec votre estomac), les notes à attraper par en haut...

Et sa passion de l'orgue allait jusqu'à réparer le matériel. A deux reprises il a re-fait des orgues. A partir de pièces détachées, de vieux orgues, il en a refait deux. Ah il y a bien des fois où les notes coincent, alors on le voit disparaître derrière, au milieu des tuyaux pour débloquer la mécanique et reparaître avec 3 cheveux en bataille et la soutane poussiéreuse. Il y a même un escabeau prêt à être escaladé entre entre le psaume et l'Alleluia ou pendant l'homélie.

A combien a-t-il donné le goût du chant, de la musique, du beau ?

Dans son homélie le prêtre nous invitait à nous réjouir de tant de talents et à les faire fructifier à notre tour, interrogeant chacun :

"Vous qui avez bénéficié des cours de philo du Père Vité, comment mettrez-vous votre réflexion, votre discernement au service de ce monde où il est parfois si tentant de réagir de manière sensible voire
épidermique sans avoir pris le temps de donner droit à la raison . Saurons-nous lier foi et
raison pour aider à trouver sens à la vie ? Vous qui avez appris à jouer de l'orgue avec le Père Vité, comment continuerez-vous à vous mettre au service de la prière de l’Église pour qu'elle soit par la
musique et le chant, l'instrument qui sert la rencontre de tout homme avec ce Dieu révélé
par Jésus-Christ ?
"

Et de citer la Constitution de Vatican II sur la liturgie : "On estimera hautement, dans l’Église latine, l’orgue à tuyaux comme l’instrument traditionnel dont le son peut ajouter un éclat admirable aux cérémonies de l’Église et élever puissamment les âmes vers Dieu et le ciel." (Sacrosanctum Concilium, n° 120).

Et quand on le remercie pour tout ce qu'il a donné, il répond avec grande émotion :
Merci... mais maintenant, c'est au Bon Dieu de faire le reste.

L'assemblée lui répond par une standing ovation.
Louez-le en sonnant du cor, louez-le sur la harpe et la cithare ;
Louez-le par les cordes et les flûtes, louez-le par la danse et le tambour !
Louez-le par les cymbales sonores, louez-le par les cymbales triomphantes! 
Et que tout être vivant change louange au Seigneur ! Alleluia ! (Psaume 150)


mardi 9 octobre 2012

Allégresse

Elle avait commencé à nous parler de Noëlle et Jacqueline il y a quelque temps, ses deux amies avec qui et chez qui elle allait passer quelques jours de vacances. J'avais écouté, distraitement, ce n'étaient que deux noms, des personnes que je ne verrai sans doute jamais. Même si, à travers ce qu'elle en disait je comprenais que c'étaient de vraies amies, et qui comptaient pour elle.

C'est pas la Suisse, mais ce sont de belles Alpes quand même
La perspective de les revoir l'emplissait de joie autant que de retrouver ses frères et sœurs. Ça promettait d'être un beau séjour, bien préparé, des visites, des retrouvailles, des balades en montagne, des veillées au coin du feu, car il fera déjà froid là-bas en Suisse. De temps en temps elle nous livrait un peu de ce projet de vacances soigneusement préparé sans en avoir l'air. Quant à moi j'étais toujours un peu lointaine.

Puis elle nous a dit que Noëlle et Jacqueline viendraient la chercher. Comment ? Faire toute cette route en voiture, traverser la France pour venir la chercher et repartir dès le lendemain !
  • Mais elles ont quel âge tes amies ?
  • 78 et 82 ans.
  • Ha bon !
  • Mais ça leur fait plaisir de venir, et la route ne leur fait pas peur
  • Oui, bien sûr !
Au fur et à mesure qu'on approchait du jour J les préparatifs continuaient, l'accueil des amies s'organisait, discrètement, mais tout se mettait en place. Une fois ou deux j'ai dû répondre au téléphone quand Noëlle a appelé. Voix souriante et dynamique... oui, oui, ça s'entend un sourire au téléphone ;-)

Elles ont donc pris la route dimanche matin, de Genève, et sont arrivées le soir, avec la pluie. Non seulement elles ont fait le déplacement mais elles sont arrivées avec un sac de spécialités suisses (hum, pas besoin de détails sur le contenu du sac, n'est-ce pas !). Et j'ai fait la connaissance de Noëlle et Jacqueline. Un régal. Nous avons dîné ensemble, chez nous. Un moment de bonheur. Les retrouvailles de ces trois amies, simples et sans exubérance mais denses de vécu ensemble. Et on s'est mises à parler comme si on se connaissait depuis des lustres.

Pourtant il a bien fallu arrêter pour aller se reposer : 800 km aujourd'hui, autant demain pour le retour, même à 80 ans ça demande un minimum de repos ;-)

Et ce lundi matin, elles sont toujours en pleine forme, prêtes pour le départ. Pas d'effervescence mais un rayonnement de bonheur contagieux. Je ne sais pas ce qui s'est passé, ce n'était pas un départ en vacances ordinaire. Je les ai accompagnées jusqu'à leur voiture et elles ont pris la route, laissant derrière elles comme une traînée de leur bonheur paisible. Il faisait encore un peu sombre, ça brouillassait, ça crachinait, mais il y avait du soleil dans les cœurs, des regards radieux et un brin rieurs, des visages lumineux et paisibles.

Bon voyage, bonnes vacances Lætitia !

Tiens, au fait... Lætitia, ça veut dire allégresse.


mercredi 3 octobre 2012

C'étaient des enfants


Des enfants comme tous les autres, des enfants avides d'apprendre, délurés, espiègles, déjà marqués comme les autres de cette époque par le froid, la faim, la mort, la peur engendrés par la guerre. Mais ceux-là en plus ils étaient juifs, marqués au fer rouge de l'étoile jaune.

Pour ce 70e anniversaire de la rafle du Vel' d'Hiv' une exposition leur est consacrée à l'Hôtel de Ville de Paris. En mémoire de ces milliers d'enfants déportés et exterminés, mais aussi de ceux qui en reviendront  comme on dit, et de ceux qui au risque de leur vie ont caché et élevé des enfants juifs. Et pour ces derniers la vie après... ou comment survivre après un tel drame ?

Les enfants comme sujets de cette histoire, selon la formule de Serge Klarsfled, ou l'histoire du point de vue des enfants.

 Avec pédagogie l'expo suit un parcours assez chronologique et par thèmes : identification et exclusion - arrestation et déportation - solidarité et sauvetage - survivre et grandir. La plupart des documents viennent du Mémorial de la Shoah : lettres, photos, dessins, témoignages, registres, documents officiels, jouets, vêtements avec l'étoile jaune, et couvrent non seulement la période de l’Occupation mais également l’immédiat après-guerre où les difficultés demeurent pour les enfants juifs.

Impressionnant silence qui accompagne la visite.
Ce vieil homme, sur un banc, au milieu de la salle, menton dans la main, regard ailleurs, perdu dans l'au-delà du temps et de l'histoire, les yeux trop humides... Il n'est pas là, il n'est plus là... où est-il ? avec qui ?... Comme ces gens revenus des camps et qui n'en ont jamais parlé, mais à vie sans cesse hantés par ce qu'ils ont vu et vécu.

Et dans la salle à côté ce poème lu en boucle par une voix de femme, lancinant :

Mon père est mort, ma mère est morte
Morts la plupart de nos frères,
Mortes la plupart de nos sœurs
Et moi qui me croyais si forte
Sans volonté je marche, j'erre
Pendant que gémis mon cœur.

Je voudrais hurler sur les toits
Toute ma haine, comme un écho,
De mon âme qui pleure.
Morts... morts... morts répète ma voix.
Je voudrais crier tout haut
Pendant que gémis mon cœur.

La rage dans mon âme vibre,
J'ai tout perdu : l'amour, la foi.
Moi, qui à toutes ces horreurs
Ai échappé, enfin libre.
Je travaille... mais sans joie,
Pendant que gémis mon cœur.

Ils sont tous morts ! Ils sont tous morts !
Me laissant une lourde tâche
Pour que survive un monde meilleur
J'ai fait un très grand effort.
Je travaille sans relâche
Pendant que gémis mon cœur.


Ce poème est également sur un mur, je l'ai recopié intégralement, tel quel. "Pendant que gémis mon cœur" a été publié en 1946 dans "Lendemains".

Une exposition pas comme les autres. 
Pas seulement un voyage dans l'histoire mais une expo en forme de Mémoire. Afin que l'on se souvienne et que jamais cette Histoire ne se reproduise.
 
Elle est visible jusqu'au 27 octobre 2012, à l'Hôtel de Ville de Paris. Une visite-mémoire à ne pas manquer.